le bruit des ciseaux

DANS DEUX VERRES DURALEX ELLE A VERSE DU CAFE CHAUD.

ELLE PARLE DE CETTE MAISON, AU CARRELAGE FAUVE, QU'ELLE HABITE DEPUIS 1952,

DE CES CES DRAPS, DANS LESQUELS SES ENFANTS SONT NES,

DE SA MERE, QUI BUVAIT DE LA CHICOREE,

ET QUE DEPUIS, ELLE EN BOIT UN BOL TOUS LES MATINS.

PLUS TARD, ELLE PLEURE UN PEU, A CAUSE DU FILS MORT L'ANNEE DERNIERE.

DES RIDEAUX DE DENTELLE SONT PENDUS AUX FENETRES.

SOUS UN GILET GRENAT ELLE PORTE UN TABLIER A CARREAUX BLEU,

ADOSSEE A LA PORTE EN FORMICA DU REFRIGERATEUR.

IL Y A CETTE FEMME, UN MATIN D'AOUT,

QUAND LES RUES SONT PRESQUE VIDES,

DANS LE BAR TABAC DU COIN DE LA RUE.

ELLE EST SEULE, A UNE TABLE, CONTRE LA VITRE.

ELLE EST COMME UNE ICONE DANS UNE ALCOVE,

AVEC DE LE LUMIERE ET DE L'OMBRE QUI INNONDENT SON VISAGE.

LA ROBE QU'ELLE PORTE EST VERTE, D'UN VERT TROP VERT,

ET LES CHEVEUX TRES BLANCS SONT NOUÊS AU-DESSUS DE LA TETE PAR UNE PINCE BON MARCHE.

IL Y A, DANS LA FACON QU'ELLE A DE SE TENIR TRES DROITE DANS LA FLUORESCENCE DE SES VETEMENTS,

DONT ELLE A TIRÊ SES CHEVEUX TRES SERRÊ DANS CETTE PINCE EN TOC,

DE MOUVOIR SES MAINS POUR ATTRAPER UNE CIGARETTE DANS UN ETUI EN FER,

QUELQUE CHOSE DE LA GRACE. UNE ELEGANCE CACHEE. MALGRE LES CRIS QU'ELLE POUSSE.

PARCE QU'ELLE CRIE. 

DANS CE BAR TABAC UN MATIN D'AOUT ELLE CRIE.

CONTRE TOUT. CONTRE RIEN.

AU MILIEU DES HOMMES ET DE LEURS VERRES DE BIERE ELLE CRIE.

ELLE SE LEVE ET ELLE CRIE.

SA SOLITUDE . LA VIOLENCE DU DEDANS ET DU DEHORS.

DANS SA ROBE VERTE ELLE CRIE.

ELLE EST COMME UN TABLAU D'EDWARD HOPPER:

ELLE EST CE MORCEAU DE REALITE CRUE, DANS UN RADE DE PROVINCE UN MATIN D'AOUT.

.

21 HEURES, C'EST EN JUILLET.

LE T-SHIRT COLLE CONTRE LA PEAU.

A CETTE HEURE-CI DANS LES MAISONS LE CORPS EST MÊDUSÊ.

ON NE FUME PLUS, ON NE BOUGE PLUS, ON NE MANGE PLUS.

IL FAIT ENCORE 35 DEGRÊS.

TOUT A COUP IL Y A LE VENT.

IL RENTRE PAR LA BÊANCE DES FENETRES.

AVEC LA PLUIE, TRES FINE, CONTRE LA PEAU TRES MOITE.

LE CIEL EST DEVENU GRIS BLEU ET UN PEU JAUNE DU SOLEIL QUI SE COUCHE.

LE DEHORS EST DEVENU UN BRUIT.

LE BRUIT D'UN ORAGE D'ÊTÊ, DU VENT DANS LES FEUILLES.

LES BRUIT D'UNE PLANCHE DE BOIS TOMBEE SUR LE TROTTOIR

CAR ON L'AURA LAISSEE LA COMME DANS UNE DECHARGE.

LE BRUIT DE VOLETS QUI CLAQUENT, LE BRUIT DE GENS QUI PARLENT,

LE BRUIT DE CAMIONS POUBELLE ET LE BRUIT DU TONNERRE, LOIN,

AVEC DES ECLAIRS BLEUS.

DEMAIN, LE VENT AURA RAFRAICHI LES MURS GORGÊS DE LA CHALEUR DU JOUR,

ET CHARIÊ UN TAS DE CHOSES QUE L'ON TROUVERA SUR LES TROTTOIRS.

IL FERA MOINS CHAUD PEUT-ETRE.

.

(texte imaginé pour le magazine duel)

TULSA-COIN PAUMÊ DES CAMÊS DE LARRY CLARK-PAS GRAND-CHOSE A FOUTRE.

IL ETAIT PARTI UNE FOIS. PLUS JEUNE. DANS LA GRANDE VILLE.

ET CE DIMANCHE MATIN IL EST LA,

ACCOUDÊ A LA TABLE DE LA MERE.

LA TABLE EN BOIS DONT ON NE SAIT PLUS VRAIMANT CE QU'IL EST.

STRATIFIÊ DE CONFITURE DE FRAISE, DE TACHES DE CAFE, DU GRAS D'UNE EPONGE QU'ON A MAL RINCEE.

DANS UN COIN RESTENT QUELQUES PELURES D'OIGNON DE LA VEILLE.

C'EST LE BOIS DE L'ENFANCE,

TAILLADÊ DES COUPS DE COUTEAU DE L'ONCLE JIM,

DES CRIS DE SA SOEUR QUAND ILS SE CHAMAILLAIENT

POUR AVOIR LE MEILLEUR MORCEAU DE VIANDE

ET DES FRONTS ERAFLÊS QUAND ON PASSAIT TROP PRES DES COINS.

C'EST LE BOIS DE QUAND LA MERE CRIAIT DE NE PAS AVOIR RECU LES ALLOCS

ET DES PANCAKES CUIT DANS LA GRAISSE DE PORC.

LE BOIS QU'IL VOIT, DE SA PLACE A LUI, TOUJOURS LA MEME.

FACE AU BUFFET EN FORMICA BLEU CIEL ET LA FENETRE

PAR LAQUELLE ON REGARDAIT LA DEHORS.

.

(texte imaginé pour le magazine duel)

IL SE SOUVIENT LE PAILLASSON TOUJOURS COUVERT DE LA POUSSIERE DU BOIS.

CELLE DE SOUS LES CHAUSSURES.

RAMENEE DE L'ATELIER.

IL SE SOUVIENT LES VETEMENTS A L'ODEUR DE SCIURE.

QUE LA MERE LAVE, CHAQUE SOIR.

ET CHAQUE SOIR LE BOIS REVIENT AVEC L'ODEUR.

CA REVIENT SUR LES MAINS. LES ONGLES RONGÊS-SCIÊS

ET LES ECHARDES EN -DESSOUS.

LES CALES SUR LES PAUMES.

AUTOUR DE LA TOILE CIREE LE PERE RACONTE:

LE MERISIER, LE CHENE, LE PIN.

L'EBENE NOIR COMME LE DEUIL ET LES VERNIS ENTETANTS

QUI DONNENT L'ASPECT DU MIEL SUR LES TARTINES DU PETIT-DEJEUNER.

LE BOIS PLUS TENDRE QUE LES PIERRES DANS LESQUELLES ILS VIVENT.

DANS LA VILLE NOIRE.

CONTRE LES MURS NOIRS AUXQUELS ON S'ADOSSE

DANS DES CHANDAILS NOIRS.

LE JEUNE HOMME AU BLOND DE CENDRE SE SOUVIENT.

SOUS LA LISSEUR DES STELES, IL Y A DES OS.

ELLE PENSE A CA.

LA POURRITURE SOUS LA BEAUTE.

CA RESSORT PAR ENDROITS,

SUR LES TOMBES MANGEES PAR LA MOUSSE.

ELLE S'EST ASSISE A L'ENDROIT MEME OU ILS AVAIENT DESCENDU LE CORPS.

CE CORPS QU'ON AVAIT PRIS SOIN D'HABILLER AVANT DE REFERMER LA BOITE.

LE CHANDAIL-LE FOULARD-LES CHAUSSURES

ELLE VOIT CA.

DES OS EN BLEU.

ELLE A POSE LES FLEURS A MEME LA PIERRE.

QUE CA POURRISSE AVEC LE RESTE.

.

(éloge des voyages en bus) 

ELLE A LA PEAU QUI GRATTE DE LA LAINE POUSSIÉREUSE-

MAL AU CORPS A FORCE DE LA ROUTE.

LUI ET ELLE N'ONT PAS DORMI.

DES CERNES SOUS LES YEUX-DE LA COULEUR DES SIEGES VIEILLOTS-POUR REGARDER LA ROUTE.

LES STATIONS-SERVICE, COMME UNE MER ROUGE ENTRE LE GRIS DU CIEL ET DE LA TERRE.

LES VACHES SONT UNE CARTOGRAPHIE DE CUIR.

AUX ABORDS DES VILLES, PAR OU L'ON ENTRE ET L'ON SORT,

ELLE REGARDE LES MURS DE BRIQUES QU'ON A PAS PRIS LE TEMPS DE REPEINDRE,

LES GENS-PEU NOMBREUX-QUI NE SE SONT PAS APRÊTES,

LES RIDEAUX DE DENTELLE QUE L'ON NE LAVE PAS,A L'INSTAR DE CEUX, ETERNELLEMENT ROUGES, DES L'HABITACLE.

ELLE REGARDE CES ACCOSTEMENTS AUX BASTINGAGES DU MONDE.

SUR LES REBORDS.

LA OU SE FONT LES PROFONDEURS DES VILLES.

.

(saint-Jean-d'Illac-été 2015)

ELLE LES RANGE DANS L'ETAGERE,

CONTRE LE MUR CREPITEUX, 

DANS LE CARRE DE LA PIECE.

ILS SONT FACE AU DRAP FANTOME DU DIVAN,

AUX PIEDS FROIDS CONTRE LA TABLE EN METAL.

ELLE LES REGARDE.

ILS ONT QUELQUE CHOSE DE LA MER-

QUELQUE CHOSE DE L'ECUME.

QUELQUE CHOSE DE CETTE BLANCHEUR.

ILS SONT UN BARRAGE CONTRE LES CRIS DU DEHORS ET LES CRIS DU DEDANS,

COMME LES CABANES EN DRAP DE L'ENFANCE.

QUELQUE CHOSE DE L'ASSOURDISSEMENT REGULIER DU RESSAC.

OUBLIEUX ET IMMEMORIAL.

ELLE RANGE CHAQUE LIVRE DANS UN ORDRE PRECIS,

CHAQUE TRANCHE DANS LE BLEU DES YEUX,

DES LAMES DE FOND DANS LA GORGE,

FABRIQUANT SA PROPRE VAGUE.

COMME LES GROTTES DRAPEES SOUS L'ESCALIER.

CE SONT SES PROPRES CHANTIERS.

DES HISTOIRES POUR SOI.

BIENTOT L'OCEAN AURA NOYE TOTUT.

IL FAUDRA CONSTRUIRE UN NOUVEAU BLOCKOS.

POUR LES VAGUES

.

(JE LE GARDE COMME UN TABLEAU)

ON EST ENTRÉ DANS LA PIECE-

DERRIERE LA PORTE N°4.

CETTE PIECE QUI RESSEMBLE A UN ASCENCEUR,

A LA LUMIERE BLAFARDE,

AUX NEONS ETEINTS,

OU SEUL ECLAIRE LE GRIS DU DEHORS.

L'ODEUR EST MEDICALE, ET IL FAIT FROID.

DANS UN COIN, ILS ONT DEPOSE LES INSTRUMENTS

QUI SERVIRONT A REFERMER LE CERCUEIL.

JE N'OSE PAS VRAIMENT REGARDER CE CORPS A L'INTERIEUR-

ENSEVELI DANS LE SATIN.

ON A COUSU LA BOUCHE-ELLE EST BLEUE-DES HEMATOMES SUR LE VISAGE.

LE PEAU, ELLE, EST TRANSPARANTE.

JE REMARQUE LE NEZ CROCHU.

(CE N'EST PAS CETTE PERSONNE QUE J'AI VUE VIVANTE)

LES MURS GRIS-MAUVE SEMBLENT AVOIR LA COULEUR DE LA MORT.

LES GENS ONT LA COULEUR DE LA MORT.

ILS SONT COMME DES STATUES DRAPEES DE NOIR,

AUTOUR DE LA BIERE AU BOIS VERNI,

DANS LA LUMIERE BLANCHE.

QUELQUE CHOSE D'ATROCE, ET QUELQUE CHOSE DE BEAU.

(photo: Maurizio Cattelan, All)